EDITO
L’autre instabilité
La valse des gouvernements et des premiers ministres de ces dernières années nous donne le tournis, c’est entendu. D’autant que les choses s’aggravent, et ne vont pas s’arranger de sitôt, hélas.
Au-delà de la valse des ministres eux-mêmes, celle des découpages ministériels paraît encore plus aberrante. Comment ne pas trouver ridicule, excessive, déplacée, l’apparence de légèreté, voire de désinvolture, avec laquelle les ministres passent d’un portefeuille à l’autre, souvent sans avoir même eu le temps de prendre la mesure de leur périmètre de compétences, parfois même pour revenir à celui qu’ils ou elles occupaient quelques mois plus tôt ?
On pourrait en rire s’il ne s’agissait de choses sérieuses ; certains d’ailleurs ne s’en privent pas, comme le groupe « les Goguettes » qui épingle en chanson le ridicule chassé-croisé Vautrin/Panosyan-Bouvet au ministère du Travail.
Et que dire des découpages ministériels ? Comment, depuis toutes ces années, a-t-on pu sans frémir voir le périmètre du Ministères des Affaires sociales tant de fois évoluer, englobant tantôt la Santé, tantôt la Famille, tantôt les deux, tantôt ni l’une ni l’autre. Comment le Parlement, dont c’est pourtant aussi la responsabilité, peut-il rester sans réaction au lieu de s’attaquer à une mesure qui paraît, à première vue, moins compliquée que bien d’autres ? Car, à tout prendre, de quoi s’agit-il ? De fixer le nombre et le nom des ministères de plein exercice, et de faire de même pour les administrations qui leur sont rattachées, de préférence en leur conservant une appellation un tant soit peu crédible et pérenne.
Souvenons-nous : dès la fin de l’ère gaullienne stricto sensu, tous les gouvernements s’en sont donné à cœur joie, y compris ceux qui avaient notre soutien. Mitterrand n’a-t-il pas créé, entre 1981 et 1984, un Ministère « du temps libre » ? Dans l’euphorie du moment, personne ne s’est moqué, d’autant que le premier titulaire du poste était une personnalité plus que respectable. Cela a-t-il pour autant changé quoi que ce soit ? Visiblement non puisque dès 1984 les champs couverts par ce fameux et fumeux concept de « Temps libre » (le Tourisme, Jeunesse et Sports) ont été à nouveau séparés après avoir été brièvement regroupés sous une férule unique à la fin de l’ère Mauroy.
Et que penser des appellations, tout aussi éphémères, non seulement des Ministères, mais parfois des administrations qui sont sous leur contrôle ? On apprend un beau matin que Jeunesse et Sports - qu’on pensait insubmersible, l’étiquette étant presque devenue un nom propre, fusionne avec les Directions régionales de l’Action sanitaire et sociale pour devenir DRJSCS. Pourquoi pas, se dit-on ? Il doit bien y avoir une logique derrière tout ça. Mais voilà qu’en 2021 les DRJSCS (régionales et départementales) se scindent à nouveau entre DRAJES et DREETS. Cette fois à l’échelle des nouvelles régions regroupées. Peut-être va-t-on enfin connaître un peu de stabilité administrative, qui serait la bienvenue (les personnels eux-mêmes la souhaitent, leur efficacité est aussi à ce prix) ?
Dans ce chamboulement devenu presque quotidien, on peut penser qu’une profession se réjouit plus que toute autre : celle des fabricants et poseurs de plaques. Mais peut-être est-ce là faire preuve de mauvais esprit.
Le fait est en tout cas qu’on entend rarement des voix s’élever contre ce gâchis. Lorsque cela se produit, presque par miracle, on y est donc d’autant plus attentif. Surtout lorsque cette voix est celle d’un homme connu tant pour son intégrité que pour sa compétence. Jean-Louis Bianco, dans une tribune de Libération (28/1/2024), observait en effet que « on fait montre de beaucoup d’imagination pour [donner aux ministères] des titres ronflants et à rallonge qui ne facilitent pas la compréhension des citoyens ». Cela au moment où Gabriel Attal constituait un gouvernement qui était en lui-même une forme de record : tant par le nombre (49 titulaires) que par le temps mis à le composer (près de deux mois).
Et de conclure (dixit toujours Jean-Louis Bianco) que le bon sens commanderait de constituer des gouvernements limités à 15 ministres de plein exercice et une dizaine de secrétaires d’État. Les vaches ne seraient-elles pas tout aussi bien gardées ?
Consolons-nous en pensant que nous avons peut-être échappé au pire, sans toujours le savoir. Qui se souvient par exemple qu’en 1988, Jack Lang voulait que se crée un ministère « de la Beauté et de l’Intelligence » regroupant en toute simplicité la Recherche, la Culture et la Communication. Un « grand » ministère, donc, dont il aurait pris, cela va sans dire, la tête.
Dès lors, que faire, comment agir devant ce tableau consternant, qui ne peut que dévaluer encore un peu plus l’image de ceux qui nous gouvernent ? Et si nous écrivions simplement à nos députés pour leur suggérer une idée de proposition de loi ? Point n’est besoin de changer la Constitution pour mettre un terme à ce qu’il faut bien appeler une gabegie : une loi organique y suffirait. Alors, à nos plumes ?
Jean-Luc BERNET
Membre fondateur du cercle de réflexion Progressistes du Possible
Mai 2025