EDITO
Le réalisme est la condition d’une démarche de progrès
Comment comprendre la séquence que nous vivons encore aujourd’hui à l’heure où ces lignes sont écrites ?
Membre fondateur du cercle de réflexion Progressistes du Possible
On voudrait prendre de la hauteur, considérer les choses dans leurs grandes évolutions, mais il est bien difficile de se détacher des considérations politiques au sens, pour une fois, très politicien du terme : qu’est-ce qui fait courir les acteurs sur cette scène dont on ne sait plus trop ce qui en constitue le décor ni le fonds. Sont-ce les médias ? Sont-ce les partis, ou leurs supposés chefs ? Sont-ce les JOP qui ont jeté sur l’ensemble un voile de fraîcheur et même, osons, le mot, de beauté ? Est-ce le Parlement, cette Arlésienne qui est censée être revenue au centre des décisions et qui n’apparaît plus nulle part, sauf à travers des menaces et toutes sortes de turbulences qui n’augurent rien de bon quant à la session qui commence ?
Tout au long de ces derniers mois, nous en avons été réduits à espérer : espérer que le sursaut du 7 juillet déboucherait enfin sur des postures constructives, tenant compte de la nouvelle situation que nous-mêmes, électeurs, avons fabriquée. Jean Garrigues le rappelait récemment à 28 minutes : nous sommes toujours sous la Ve République, mais dans une situation de IVe. C’est un fait, et il n’est guère rassurant : l’échec de la CED, le mandat écourté de Mendès-France, l’aventure poujadiste, Suez, le rappel éploré de De Gaulle, restent comme autant d’épisodes de triste mémoire.
Dans un contexte aussi troublé, ce que nous pouvons attendre et préconiser, nous, citoyens sans pouvoir ni audience, paraîtra bien dérisoire. C’est pourtant la seule voie qui nous semble devoir être suivie, et celle qui, peut-être, commence à se dessiner, à présent que l’hypothèse Cazeneuve a été victime d’une obstination imbécile à gauche : celle d’un gouvernement qui joue sur l’étroitesse même du chemin qu’il est tenu d’emprunter pour maintenir le cap tout en tenant compte des courants. Michel Barnier saura-t-il marier l’habileté et la fermeté pour construire et diriger un gouvernement capable de relever les défis contradictoires qui s’annoncent ? L’avenir nous le dira très bientôt.
Pour l’heure, un regard lucide sur les années passées devrait éclairer les mois à venir. Car le bilan de 7 années de « macronisme », puisque le terme est désormais admis, n’est pas nul. On est en droit de penser que la suppression de l’ISF a peut-être été une fausse bonne idée, inspirée par une croyance inébranlable dans la politique de l’offre. Le résultat est, on le sait, contrasté et ne fait pas, tant s’en faut, l’unanimité. Pour autant, il est malhonnête d’oublier que l‘ISF a été non pas supprimé mais remplacé par l’IFI qui, c’est vrai, n’a pas eu le même rendement. Mais dans l’ensemble des mesures de politique économique qui ont été prises depuis 2017, beaucoup ont atteint leur but, qui était de réduire le chômage, de maintenir vaille que vaille la croissance, de relever le défi de la formation, notamment des jeunes, de donner des gages aux marchés financiers dont nous avons, quoi qu’on en dise, besoin, et de ne pas déroger trop brutalement aux règles du pacte européen. Le tout dans un contexte de pandémie, de crise énergétique, de guerre à nos portes. Il fallait que soient prises des mesures fortes, elles l’ont été.
Elles l’ont été sur les régimes de retraites, dans le prolongement des mesures précédentes, y compris celles prises sous gouvernance de gauche : on peut seulement regretter que la convergence des démagogies ait obscurci le véritable enjeu de la réforme et conduit Elisabeth Borne à passer en force. Avait-elle le choix ?
Elles l’ont été sur les régimes de retraites, dans le prolongement des mesures précédentes, y compris celles prises sous gouvernance de gauche : on peut seulement regretter que la convergence des démagogies ait obscurci le véritable enjeu de la réforme et conduit Elisabeth Borne à passer en force. Avait-elle le choix ?
Sur l’immigration, un thème qui reste central et que nous devons apprendre à aborder sous un angle pragmatique et pas seulement idéologique ou moral, il fallait prendre des décisions, aussi pour être en phase avec le Pacte asile-immigration arrêté par le Parlement européen. Sans doute la loi finalement adoptée -là encore, au forceps- aurait-elle eu d’autres inflexions sans les manipulations en tous genres, largement imputables à l’opposition de gauche, qui l’ont purgée de dispositions initiales plus acceptables.
Ces quelques exemples dessinent, certes sommairement, ce qui nous semble à nous « Progressistes du possible », être le cadre dans lequel l’action politique doit se déployer : l’environnement européen et international pèse son poids, et la France y a joué ces dernières années un rôle éminent dans le bon sens -celui d’une Europe qui affirme sa souveraineté, son unité et même sa puissance. Mais aujourd’hui, on ne peut passer par pertes et profits les attentes de l’opinion, qu’on appelle aussi l’électorat, d’autant que l’héritage de la pandémie continue de se faire sentir, et les urgences, notamment climatiques s’exacerbent chaque jour davantage.
Constatons d’ailleurs que les collectivités territoriales, et notamment les Régions, qui sont devenues un acteur politique, écologique, social, majeur relèvent chaque jour ces défis, et le font le plus souvent à bas bruit. C’est la preuve que la médiatisation, la scénarisation, la dramatisation outrancières de la scène politique nationale pervertit et déforme les enjeux et finit par pénaliser toute démarche qui, ailleurs, va de soi, et qui paraît impossible ici C'est ce fatalisme que nous nous sommes donnés pour objectif de critiquer, en rappelant, par la discussion, l’échange de points de vue, la valorisation d’une information honnête, qu’être progressiste aujourd’hui, c’est considérer le possible.
Et vice versa : le réalisme est la condition d’une démarche de progrès. Plus que jamais, Jaurès est de notre temps : « le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel » (Discours de 1903 aux lycéens d’Albi) .
Jean-Luc Bernet
Membre fondateur du cercle de réflexion Progressistes du Possible
Octobre 2024